Un baptême en avion militaire


A chacun son jardin secret. Certains collectionnent les billes, d’autres sont cinéphiles, et d’autres sont nécrophiles. Dans mon cas, j’entretiens une passion plutôt insolite pour les avions de chasse. A tel point que j’ai longtemps caressé le rêve de devenir pilote de chasse (espoir malheureusement douché par une vue défaillante). Je me souviens que pendant longtemps, il m’a été impossible de sortir de la maison sans avoir avec moi mon avion de chasse porte-bonheur au fond d’une poche. Je le sortais dès que j’avais un moment de libre et m’embarquais dans de complexes batailles aériennes. Bref, il était inévitable qu’un jour, je veuille monter à bord d’un de ces engins pour de bon. Il aura fallu du temps pour convaincre ma famille, mais j’ai enfin pu assouvir mon fantasme dernièrement, lors d’un baptême en L-39. Cela s’est passé à Pontoise, et dussé-je vivre deux cents ans, je peux vous le dire : je ne suis pas près d’oublier ce jour ! Les sensations que j’ai ressenties durant ce vol continuent de me hanter et continueront probablement longtemps de le faire. Je pensais m’être préparé à tout, mais il peut y avoir une énorme différence entre lire un récit et le vivre soi-même. Je connaissais sur le bout des doigts les émotions procurées par un avion de chasse : la puissance des G qui vous fait peser près de 400kg, le sentiment de légèreté que procure les G négatifs lors de certaines figures, la vision qui diminue lorsqu’approche le blackout… Mais en fait, peu importe ce qu’on pense savoir, il est impossilbe de réaliser ce que ces informations représentent : et quand l’organisme ressent ces sensations incroyables, on réalise soudain que le savoir ne représente pas grand-chose tant qu’il n’est pas vécu. Il y a des moments qui étaient tellement intenses qu’ils en étaient presque pénibles. Et je dois admettre que, même si j’ai adoré ce baptême, j’ai été content quand le pilote a signalé qu’il était temps de rentrer… Il paraît que quand je suis sorti du cockpit, mon visage avait la couleur de la craie. En tout cas, si vous adorez comme moi les shoots d’adrénaline, je vous conseille vraiment le vol en avion de chasse. Voilà le site où j’ai trouvé ce baptême, si vous voulez jeter un coup d’oeil au programme des festivités. https://www.tematis.com/vol-avion-chasse-l39-paris-pontoise.html

aviondechasse3



L’école inégale


L’école publique est devenue, au fil des années, le principal instrument utilisé par le gouvernement profond pour légitimer un ordre social inégalitaire. Un rapport du Conseil National de l’Évaluation du Système Scolaire (CNESCO) vient d’en approfondir l’analyse. Une petite incursion dans ce texte permet de mieux comprendre dans quelle mesure le service public de l’enseignement est devenu le premier vecteur, en France, des inégalités. Il a fallu attendre des années pour obtenir – enfin ! – cet aveu : l’aggravation des inégalités à l’école n’est pas due au manque de moyens, ni à on ne sait quelle cause mystérieuse relevant de l’astrologie. Elle est due principalement aux défaillances pédagogiques de la machine « Éducation nationale » face aux élèves. Autrement dit, l’école publique place devant les élèves les plus difficiles des enseignants de moins en moins aguerris qui transmettent de moins en moins de savoirs. Comme le dit le rapport, la qualité de l’enseignement dans les quartiers difficiles n’est pas la même que dans les quartiers aisés. Cette mise au point est salutaire, car elle tue enfin le mythe longtemps maintenu vivant par la machine scolaire sur la parfaite égalité entre tous les établissements scolaires. Officiellement et jusqu’ici, la qualité de l’enseignement était la même dans tous les établissements, dispensée par des enseignants tous de même qualité et de même compétence, selon une méthodologie et une organisation irréprochables. Enfin ! Enfin ! L’école publique reconnaît qu’elle couve des problèmes structurels (l’absentéisme, la politique d’affectation des enseignants, l’incapacité à assurer la sécurité des personnels et des élèves) que non seulement elle ne règle pas, mais qui sont producteurs d’inégalité. Ce que ne traite pas ce rapport, c’est l’origine-même de ces difficultés structurelles, et surtout les raisons pour lesquelles la machine éducative refuse de les régler. Or, au coeur de ce dossier, on trouve d’abord un problème de fond : la co-gestion de l’Education nationale avec le SNES, qui transforme la gestion des ressources humaines en une immense mafia où le syndicat s’engraisse par un commerce d’indulgences simple à comprendre. Ce commerce d’indulgences repose en effet sur une mécanique bien huilée: tu es un jeune enseignant toulousain nommé à Aulnay-sous-Bois ? Plus tu paieras de cotisations au syndicat, et plus vite tu rentreras dans ta belle province grâce aux mutations qu’on t’offrira ou qu’on fera passer dans des commissions paritaires bidons où l’adhésion syndicale est essentielle. Et donc… une fois de plus, le discours insupportable de la solidarité et de la lutte des classes montre combien il est toxique pour l’égalité des chances. Une gestion intelligente des ressources humaines à l’Education nationale devrait consister à mettre entre parenthèses la syndicalisation et l’ancienneté comme critères d’évolution dans la carrière, au profit d’une logique de compétence et d’adaptation à l’emploi. Pour parvenir à inverser les valeurs, il faut évidemment remplacer la co-gestion syndicale par une évaluation des enseignants et de leurs pratiques face aux élèves. L’évaluation signifie la fin de la solitude de l’enseignant dans sa classe, la fin de son despotisme devant les élèves, qui se traduit si souvent par le règne du caprice et l’instauration d’un délit de sale gueule dont les dégâts parmi notre jeunesse sont une évidence. La clé de voûte de ce retour au monde normal s’appelle l’autonomie des établissements, c’est-à-dire le pouvoir du chef d’établissement de recruter son équipe et de la faire travailler dans un projet commun en lui demandant des comptes sur ses résultats.



Enlever l’internet à Daech


Pourquoi ne coupe-t-on pas Internet à l’Etat islamique autoproclamé ? C’est en effet une question légitime, tant l’usage d’Internet par Daech est intense, lui servant à la fois d’outil de diffusion de sa propagande, de moyens de recrutement, de mode de circulation des financements, de communication entre ses membres etc. Internet est central, au point qu’un chercheur américain avait dit, vous vous souvenez, que l’Etat islamique avait ubérisé le djihad. Donc oui, il est légitime de se demander pourquoi on ne coupe pas Internet. Et d’ailleurs, en avril, le secrétaire américain à la Défense Ashton Carter avait déclaré : « Nous allons leur enlever Internet », une idée qui avait manifestement déjà traversé l’esprit du gouvernement irakien en 2014. Est-ce seulement possible ? A cette question, il y a plusieurs niveaux de réponse, qui obéissent à la complexité de ce qu’est Internet, et qui sont soumis au caractère parcellaire des informations que nous possédons. Le premier niveau consisterait à envisager l’hypothèse de couper Internet dans les zones contrôlées par l’Etat islamique. Si ces zones étaient alimentés par des infrastructures filaires (comme c’est le cas chez nous, où nous nous connectons essentiellement par l’ADSL ou la fibre optique), il suffirait de couper les câbles. Théoriquement, c’est possible. Le problème, c’est que les infrastructures filaires de ces zones étant en mauvais état, ou inexistantes, la connexion se fait par d’autres moyens. Une enquête du Spiegel a montré que l’Etat islamique se connectait par satellite, en utilisant des paraboles achetées en Turquie, des systèmes légers et peu onéreux. Ces services de connexion par satellite sont fournis par des opérateurs, qui, en théorie parce qu’ils nécessitent de s’inscrire, ont une idée des lieux où se fait la connexion, et de qui se connecte. Mais dans les faits, c’est plus compliqué. Notamment parce qu’il y a bien des moyens de masquer l’utilisateur final, en utilisant la connexion de quelqu’un d’autres ou en utilisant pour se connecter des réseaux anonymisant comme Tor. Bref, couper l’accès des djihadistes dans les zones contrôlées par le groupe Etat islamique semble très difficile. Avec la limite supplémentaire que les combattants de Daech circulent. Et que même si certaines zones n’accédaient pas au réseau, ils pourraient avoir une activité numérique dans d’autres, même a minima. Et puis, se pose une autre question : est-ce souhaitable ? D’abord parce que dans ces zones, les combattants de l’EI ne sont pas seuls à utiliser les réseaux. Des millions de personnes vivent, communiquent (même de manière réduite, notamment parce que Daech restreint l’usage d’Internet pour les populations locales). t il y a aussi des ONG, voire des résistants, qui ont besoin du réseau (il y a longtemps eu un groupe qui informait sur la situation à Raqqa depuis une page Facebook) et ces images, des informations sont nécessaires, ne serait-ce que pour maintenir un lien avec le reste du monde. Par ailleurs, il semble que les services de renseignements des pays occidentaux ne veulent pas de cette déconnexion car la présence numérique de Daech est aussi un des rares moyens de surveiller l’activité de l’organisation, de pouvoir repérer des lieux, des mouvements de troupe. Dans ce sens, la connexion est aussi un problème pour l’EI, au point qu’il avait publié l’an dernier un manuel à l’usage des ses membres pour leur apprendre, par exemple, à ne pas poster des selfies qui permettent aux Américains de les localiser et de les frapper avec des drones. Il semblerait que ce soit arrivé à plusieurs reprises. Donc « enlever Internet à l’Etat islamique » comme le proposait Ashton Carter, le couper dans une zone entière, semble aussi bien impossible que pas souhaitable.