Enlever l’internet à Daech


Pourquoi ne coupe-t-on pas Internet à l’Etat islamique autoproclamé ? C’est en effet une question légitime, tant l’usage d’Internet par Daech est intense, lui servant à la fois d’outil de diffusion de sa propagande, de moyens de recrutement, de mode de circulation des financements, de communication entre ses membres etc. Internet est central, au point qu’un chercheur américain avait dit, vous vous souvenez, que l’Etat islamique avait ubérisé le djihad. Donc oui, il est légitime de se demander pourquoi on ne coupe pas Internet. Et d’ailleurs, en avril, le secrétaire américain à la Défense Ashton Carter avait déclaré : « Nous allons leur enlever Internet », une idée qui avait manifestement déjà traversé l’esprit du gouvernement irakien en 2014. Est-ce seulement possible ? A cette question, il y a plusieurs niveaux de réponse, qui obéissent à la complexité de ce qu’est Internet, et qui sont soumis au caractère parcellaire des informations que nous possédons. Le premier niveau consisterait à envisager l’hypothèse de couper Internet dans les zones contrôlées par l’Etat islamique. Si ces zones étaient alimentés par des infrastructures filaires (comme c’est le cas chez nous, où nous nous connectons essentiellement par l’ADSL ou la fibre optique), il suffirait de couper les câbles. Théoriquement, c’est possible. Le problème, c’est que les infrastructures filaires de ces zones étant en mauvais état, ou inexistantes, la connexion se fait par d’autres moyens. Une enquête du Spiegel a montré que l’Etat islamique se connectait par satellite, en utilisant des paraboles achetées en Turquie, des systèmes légers et peu onéreux. Ces services de connexion par satellite sont fournis par des opérateurs, qui, en théorie parce qu’ils nécessitent de s’inscrire, ont une idée des lieux où se fait la connexion, et de qui se connecte. Mais dans les faits, c’est plus compliqué. Notamment parce qu’il y a bien des moyens de masquer l’utilisateur final, en utilisant la connexion de quelqu’un d’autres ou en utilisant pour se connecter des réseaux anonymisant comme Tor. Bref, couper l’accès des djihadistes dans les zones contrôlées par le groupe Etat islamique semble très difficile. Avec la limite supplémentaire que les combattants de Daech circulent. Et que même si certaines zones n’accédaient pas au réseau, ils pourraient avoir une activité numérique dans d’autres, même a minima. Et puis, se pose une autre question : est-ce souhaitable ? D’abord parce que dans ces zones, les combattants de l’EI ne sont pas seuls à utiliser les réseaux. Des millions de personnes vivent, communiquent (même de manière réduite, notamment parce que Daech restreint l’usage d’Internet pour les populations locales). t il y a aussi des ONG, voire des résistants, qui ont besoin du réseau (il y a longtemps eu un groupe qui informait sur la situation à Raqqa depuis une page Facebook) et ces images, des informations sont nécessaires, ne serait-ce que pour maintenir un lien avec le reste du monde. Par ailleurs, il semble que les services de renseignements des pays occidentaux ne veulent pas de cette déconnexion car la présence numérique de Daech est aussi un des rares moyens de surveiller l’activité de l’organisation, de pouvoir repérer des lieux, des mouvements de troupe. Dans ce sens, la connexion est aussi un problème pour l’EI, au point qu’il avait publié l’an dernier un manuel à l’usage des ses membres pour leur apprendre, par exemple, à ne pas poster des selfies qui permettent aux Américains de les localiser et de les frapper avec des drones. Il semblerait que ce soit arrivé à plusieurs reprises. Donc « enlever Internet à l’Etat islamique » comme le proposait Ashton Carter, le couper dans une zone entière, semble aussi bien impossible que pas souhaitable.


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