L’école inégale


L’école publique est devenue, au fil des années, le principal instrument utilisé par le gouvernement profond pour légitimer un ordre social inégalitaire. Un rapport du Conseil National de l’Évaluation du Système Scolaire (CNESCO) vient d’en approfondir l’analyse. Une petite incursion dans ce texte permet de mieux comprendre dans quelle mesure le service public de l’enseignement est devenu le premier vecteur, en France, des inégalités. Il a fallu attendre des années pour obtenir – enfin ! – cet aveu : l’aggravation des inégalités à l’école n’est pas due au manque de moyens, ni à on ne sait quelle cause mystérieuse relevant de l’astrologie. Elle est due principalement aux défaillances pédagogiques de la machine « Éducation nationale » face aux élèves. Autrement dit, l’école publique place devant les élèves les plus difficiles des enseignants de moins en moins aguerris qui transmettent de moins en moins de savoirs. Comme le dit le rapport, la qualité de l’enseignement dans les quartiers difficiles n’est pas la même que dans les quartiers aisés. Cette mise au point est salutaire, car elle tue enfin le mythe longtemps maintenu vivant par la machine scolaire sur la parfaite égalité entre tous les établissements scolaires. Officiellement et jusqu’ici, la qualité de l’enseignement était la même dans tous les établissements, dispensée par des enseignants tous de même qualité et de même compétence, selon une méthodologie et une organisation irréprochables. Enfin ! Enfin ! L’école publique reconnaît qu’elle couve des problèmes structurels (l’absentéisme, la politique d’affectation des enseignants, l’incapacité à assurer la sécurité des personnels et des élèves) que non seulement elle ne règle pas, mais qui sont producteurs d’inégalité. Ce que ne traite pas ce rapport, c’est l’origine-même de ces difficultés structurelles, et surtout les raisons pour lesquelles la machine éducative refuse de les régler. Or, au coeur de ce dossier, on trouve d’abord un problème de fond : la co-gestion de l’Education nationale avec le SNES, qui transforme la gestion des ressources humaines en une immense mafia où le syndicat s’engraisse par un commerce d’indulgences simple à comprendre. Ce commerce d’indulgences repose en effet sur une mécanique bien huilée: tu es un jeune enseignant toulousain nommé à Aulnay-sous-Bois ? Plus tu paieras de cotisations au syndicat, et plus vite tu rentreras dans ta belle province grâce aux mutations qu’on t’offrira ou qu’on fera passer dans des commissions paritaires bidons où l’adhésion syndicale est essentielle. Et donc… une fois de plus, le discours insupportable de la solidarité et de la lutte des classes montre combien il est toxique pour l’égalité des chances. Une gestion intelligente des ressources humaines à l’Education nationale devrait consister à mettre entre parenthèses la syndicalisation et l’ancienneté comme critères d’évolution dans la carrière, au profit d’une logique de compétence et d’adaptation à l’emploi. Pour parvenir à inverser les valeurs, il faut évidemment remplacer la co-gestion syndicale par une évaluation des enseignants et de leurs pratiques face aux élèves. L’évaluation signifie la fin de la solitude de l’enseignant dans sa classe, la fin de son despotisme devant les élèves, qui se traduit si souvent par le règne du caprice et l’instauration d’un délit de sale gueule dont les dégâts parmi notre jeunesse sont une évidence. La clé de voûte de ce retour au monde normal s’appelle l’autonomie des établissements, c’est-à-dire le pouvoir du chef d’établissement de recruter son équipe et de la faire travailler dans un projet commun en lui demandant des comptes sur ses résultats.