La valeur des services écosystémiques rendus localement


Il est opportun d’apprécier au cas par cas la valeur de services rendus localement. Associée à la recherche des valeurs marchandes pertinentes, et à des politiques publiques attachées à la question concrète du paiement ou du recouvrement des sommes en jeu, cette démarche aboutit généralement à ce qu’on appelle le paiement des services rendus par les écosystèmes (PSE). Pour procéder à l’exercice, l’économiste doit pouvoir s’approprier la problématique des services environnementaux et la traduire en concepts familiers. C’est plus ou moins le cas dès lors qu’on raisonne, par exemple, en termes d’externalités pour désigner des services jusque-là négligés par les dynamiques économiques. C’est encore le cas quand on s’attache à déterminer les conditions du maintien du capital naturel, ce dernier étant conçu comme le capital nécessaire à la fourniture de services pérennes. Ceci étant posé, la question des PSE s’inscrit dans une fourchette qui va, en substance, du plus familier au plus expérimental. À l’une des extrémités du spectre, on peut se livrer au constat déjà dressé dans le rapport de synthèse TEEB, selon lequel les services écosystémiques qui ont le plus de chance d’être tarifés sur les marchés sont les valeurs de consommation et d’usage direct des «services d’approvisionnement» tels que les récoltes ou le bétail, les poissons ou l’eau…. À l’autre extrémité, on peut se demander comment mesurer des valeurs d’usage hors consommation, ou bien encore la « non-utilisation » de services dont les bénéficiaires perçoivent les avantages mais sans rien consommer concrètement: c’est ce qui se produit pour nombre de services à dominante culturelle. La question revient dès lors à savoir où placer le curseur entre ce qui doit être valorisé et ce qui ne doit pas l’être. De ce point de vue, c’est apparemment l’UKNEA qui va actuellement le plus loin. Certes, la prise en compte de la valeur économique des loisirs extérieurs (outdoor recreation) obéit à des facteurs assez aisément compréhensibles. L’étude estime que pour se livrer à ces activités (randonnée, pêche, observation…), les Britanniques dépensent annuellement 20,4 milliards de livres, ce qui fournit un ordre de grandeur assez précis. Mais d’autres appréciations laissent une impression plus mitigée. Au titre des valeurs esthétiques, envisagées sous l’aspect de l’hedonic pricing, le bénéfice résultant de la disposition d’une vue sur un espace vert en milieu urbain est évalué à 340 euros par an. Dans ce même ordre d’idées des «prix hédonistes», une étude menée en 2006 dans l’agglomération dijonnaise, sur la base d’une coopération poussée entre géographes et économistes, montre que le doublement de la quantité de feuillus dans une vue paysagère à partir d’une maison ou d’un appartement «vaut» plus de 2000€, et que de façon générale la valeur d’une vue paysagère agréable représente 2,3% du prix des biens immobiliers. Cette approche ne va pas sans soulever des problèmes éthiques, ne fut-ce que dans la mesure où on peut craindre que les valeurs hédonistes ne soient condamnées au relativisme en tant que fondées sur l’esthétique ou l’agrément, qui sont par essence des données subjectives. Les partisans de ces approches font valoir qu’il en va de même des œuvres d’art, et que cependant celles-ci ont un prix. La différence réside dès lors dans le fait qu’il existe un marché de l’art, alors qu’il n’en existe pas encore pour le paysage. Faut-il à toute force en créer un ? Il est permis, par principe, de répondre par la négative. La marchandisation – qu’on peut comprendre comme l’extension des activités marchandes privées à des secteurs non marchands, ou bien encore comme le processus consistant à conférer une valeur d’échange à des biens qui jusqu’alors ne présentaient qu’une valeur d’usage – doit être étroitement maîtrisée dès lors qu’elle s’attache à autre chose qu’aux services productifs. Son extension progressive, qu’illustre parmi bien d’autres exemples la tentation de confier la gestion des espaces protégés au secteur privé (idée communément avancée en Italie et aux États-Unis notamment), risque à terme, de confiner le domaine de la non-marchandise, et par extension les biens publics mondiaux, à un domaine purement interstitiel ou marginal. Il y a là un grignotage graduel dont il faut se méfier impérativement. Quoi qu’il en soit, les économistes disposent d’une assez large batterie de démarches et de méthodes possibles pour fixer la valeur monétaire des services environnementaux.


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