Faire sa pub


Une des principales puérilités de ce temps est l’amour de la réclame. Percer, se faire connaître, sortir de l’obscurité, quelques-uns sont à tel point dévorés par ce désir, qu’on peut à juste titre les déclarer atteints du prurit de la publicité. À leurs yeux l’obscurité est l’ignominie par excellence; aussi font-ils tout pour être remarqués. Ils se considèrent dans leur existence ignorée comme des êtres perdus, comparables aux naufragés qu’une nuit de tempête a jetés sur quelque rocher désert et qui ont recours aux clameurs, aux détonations, au feu, à tous les signaux imaginables pour faire savoir à quelqu’un qu’ils sont là. Non contents de lancer des pétards et des fusées innocentes, plusieurs sont allés, pour se faire connaître à tout prix, jusqu’à la bassesse et jusqu’au crime. L’incendiaire Érostrate a fait de nombreux disciples. Combien sont-ils de ce temps qui ne sont devenus célèbres que pour avoir détruit quelque chose de marquant, démoli ou essayé de démolir une réputation illustre, signalé leur passage enfin, par un scandale, une méchanceté ou quelque barbarie retentissante. Cette rage de la notoriété ne sévit pas seulement parmi les cervelles fêlées, ou dans le monde des financiers douteux, des charlatans, des cabotins de tout rang, elle s’est répandue dans tous les domaines de la vie spirituelle et matérielle. La politique, la littérature, la science même, et, chose plus choquante, la charité et la religion ont été infestées par les réclames. On sonne de la trompette autour des bonnes œuvres et pour convertir les âmes on a imaginé des pratiques criardes. Poursuivant ses ravages, la fièvre du bruit a gagné des retraites d’ordinaire silencieuses, troublé les esprits en général posés et vicié dans une large mesure l’activité pour le bien. L’abus de tout montrer ou plutôt de tout étaler, l’incapacité croissante d’apprécier ce qui reste caché et l’habitude de mesurer la valeur des choses au tapage qu’elles font, a fini par altérer le jugement des plus sérieux, et l’on se demande parfois si la société ne finira pas par se transformer en une vaste foire où chacun bat de la caisse devant sa baraque.


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